Nommé ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire du Burkina Faso auprès de la Fédération de Russie (le 6 décembre 2023), Aristide Rapougdoudba Ludovic Tapsoba a aussitôt pris fonction dans ce contexte de redynamisation de la coopération entre Moscou et Ouagadougou. C’est d’ailleurs, et visiblement, conscient des enjeux de cette réactivation que le diplomate burkinabè au pays de Vladimir Poutine multiplie les actions et sorties sur le territoire de sa juridiction. Nous l’avons rencontré dans la ville de Sochi (située à 1 630 km de Moscou) en compagnie du ministre en charge de l’énergie et sa délégation, au Forum international sur l’énergie nucléaire (25-26 mars 2024), au cours duquel le gouvernement burkinabè a signé une feuille de route avec la société Rosatom pour la construction d’une centrale nucléaire au Burkina. Avec Ludovic Tapsoba, qui se qualifie lui-même de “wayiyan”, il a été question également des contours de la reprise de la coopération et de la vie de la diaspora burkinabè en Russie.
Lefaso.net : Vous êtes entré en fonction il y a environ deux mois ; quelles sont les actions prioritaires identifiées en cette relance des relations actives, et dans un contexte où « tout est urgent » ?
Ludovic Tapsoba : Absolument, tout est urgent. Avant la prise de service, il fallait présenter les copies au ministère des Affaires étrangères, et curieusement en moins de deux semaines, le ministère russe nous a permis de présenter nos copies figurées ; chose qui, souvent, dure pratiquement quelques mois. À partir de là, nous avons mis en œuvre effectivement un plan.
C’est un plan de mise en œuvre de nos activités durant cette année. En priorité, nous avons voulu que les hommes d’affaires burkinabè puissent venir connaître la Russie et pour ce faire, nous organiserons au mois de juillet (2024), un forum économique Burkina-Russie qui réunira les hommes d’affaires burkinabè et les hommes d’affaires russes, pour présenter les potentialités du Burkina Faso, afin que nous puissions signer quelques accords.
Ça, c’est la première action et ce plan est déjà en cours de mise en œuvre. J’ai aussi pu rencontrer les ressortissants burkinabè à Moscou et à Saint-Pétersbourg. Nous comptons renforcer également, au cours des mois à venir, notre partenariat avec les pays africains en matière de diplomatie, notamment l’ambassadeur du Mali que j’ai pu rencontrer ; nous avons eu des séances de travail et nous allons justement dérouler cette coopération en étroite collaboration. Ce sont là quelques pistes d’actions que nous comptons bientôt finaliser.
Parlant de la rencontre avec des Burkinabè de la diaspora russe, quelles sont les principales préoccupations qu’ils vous ont soumises ?
Notre diaspora ici est composée de beaucoup d’étudiants, et la difficulté que nous rencontrons, c’est que les Burkinabè, une fois qu’ils ont la bourse russe, viennent directement en Russie sans passer par le ministère de l’Éducation (ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation, ndlr) pour finaliser leur complément de bourse. Ils sont là et on n’ont pratiquement pas la possibilité de remonter la filière. Ce n’est pas comme à notre temps où pratiquement c’est l’ambassade qui gérait les bourses des étudiants.
- Ici, le ministre en charge de l’énergie, Yacouba Zabré Gouba (2ème à partir de la gauche), avec l’ambassadeur Ludovic Tapsoba à sa gauche, à un des panels du Forum international Atomexp-2024, au Parc national de Sotchi.
Une recommandation, donc ?
Comme recommandation, il va falloir que le ministère de l’Éducation (ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation, ndlr) puisse se mettre en contact avec l’ambassade, afin que nous puissions gérer directement les bourses à partir d’ici. Cela, pour éviter justement cette cacophonie et pour que ces étudiants puissent mener vraiment à bien leurs activités, dans la quiétude.
Peut-on avoir une idée du contingent d’étudiants burkinabè actuellement en Russie ?
Nous sommes autour d’une centaine d’étudiants civils. Le nombre d’étudiants militaires, ça, je ne dirai pas ici, mais c’est important. Mais, c’est une reprise ; parce qu’il y a de cela 30 ans, on était à près de 400 étudiants. Je pense que dans les années à venir, nous allons essayer de dépasser le nombre d’avant ; parce que, comme vous le savez, avec le nucléaire civil, il nous faudra former des cadres pour justement gérer cette infrastructure.
Nous n’avons pas beaucoup de spécialistes en la matière. Nous venons d’avoir l’autorisation avec Rosatom pour mener des négociations avec le ministère des Affaires étrangères, afin d’avoir un quota acceptable d’étudiants dans tous les segments du nucléaire civil. Déjà en octobre (2024), c’est possible que nous recevions un grand contingent d’étudiants dans ce cadre.
Parlant de domaines de coopération avec la Russie, peut-on avoir quelques détails ?
La première coopération, c’est comme vous le savez, elle remonte à depuis 1967. Elle est militaire ; nous avons une coopération militaire avec la Russie. Cette coopération va de jour à jour en s’amplifiant. Je ne donnerai pas de détails, mais je puis vous dire que depuis ces deux derniers mois, nous sommes allés du simple au quadruple en matière de coopération militaire.
Sur le plan économique, vous savez que le Burkina Faso est un pays producteur de lithium. La Russie, elle, ne produit pas le lithium ; elle est en train de prospecter partout en Afrique de l’Ouest, comment avoir du lithium pour développer les énergies renouvelables, notamment la réalisation de piles et, pourquoi pas, de véhicules électriques. Et lors de ce forum, nous avons profité de l’occasion pour leur dire que nous pouvons leur offrir cette opportunité. Mais, il ne s’agira plus de venir exploiter le lithium, l’exporter en Russie pour fabriquer les piles, les véhicules. Si vous voulez venir au Burkina, vous allez devoir transformer ce lithium en batteries et en voitures électriques, d’abord pour le Burkina et si vous voulez, vous allez exporter les véhicules électriques vers la Russie. Et ça, je pense que c’est de bon ton ; nous ne pouvons plus continuer à exporter nos matières premières uniquement, sans plus-value.
Également, nous avons un flux d’hommes d’affaires qui arrivent pratiquement chaque jour ici en Russie et dans plusieurs domaines (que je ne peux pas dire ici, comme ce sont des domaines concurrentiels). Les grands opérateurs économiques sont là, et ils signent même des accords. Sur le plan des études, nous avons également, de plus en plus, des étudiants qui arrivent avec leurs propres moyens pour s’inscrire ici, dans des domaines divers. Donc, l’axe Russie-Burkina se porte, je dirais, extrêmement bien.
Parlant de mouvements vers la Russie, n’empêche que des citoyens burkinabè posent le problème de lourdeurs pour l’acquisition de visa et de bien d’autres conditions. Comment appréhendez-vous le sujet ?
C’est une préoccupation qui se pose absolument à notre niveau, puisque, comme vous le savez, au niveau du Burkina, le service consulaire n’est pas encore fonctionnel. Donc, il n’y a pratiquement pas la possibilité de confectionner des visas au Burkina ; ça se fait toujours en Côte d’Ivoire. Nous avons donc pris attache avec le ministère des Affaires étrangères, qui nous a rassurés que l’ambassadeur russe au Burkina a été déjà désigné et qu’il prendra incessamment service. Ce qui va nous permettre justement d’avoir un service consulaire au niveau de l’ambassade de Russie au Burkina et dans le long terme, nous allons réfléchir avec la partie russe sur comment éliminer le visa entre les deux pays, gage d’une meilleure coopération entre nos deux pays.
Actualité oblige…, on a assisté tout à l’heure à la signature d’une feuille de route entre le Burkina et Rosatom pour la construction d’une centrale nucléaire. En tant que représentant du Burkina ici en Russie, quelles sont les recommandations que vous avez à formuler sur le sujet et quel va être le suivi à votre niveau ?
En termes de recommandations, je dirais que nous n’avons plus droit à l’erreur. C’est une feuille de route qui nous permettra d’aboutir très prochainement à la signature de l’accord et, pourquoi pas, à la pose de la première pierre. Nous avons un défi énergétique, et le nucléaire nous offrira cette opportunité d’avoir l’indépendance énergétique, comme la Russie. Vous savez que dans les années 1800, la Russie avait pour priorité, dans son premier plan quinquennal, l’électrification du pays. Dans son deuxième plan quinquennal, c’était l’industrialisation. Donc, en dix ans, la Russie est allée de l’indépendance énergétique à l’industrialisation. Et si nous allons comme cela avec la réalisation de notre centrale nucléaire, je dirais qu’en cinq ans, nous pourrons être auto-suffisant sur le plan énergétique et, pourquoi pas, sur le plan alimentaire.
- Des ressortissants burkinabè de la ville de Saint-Petersbourg, en février 2024, lors de la visite du ministre d’État, Bassolma Bazié (au premier plan, 5ème à partir de la droite) et l’ambassadeur Tapsoba à sa droite, vêtu de bleu rayé.
Comment se passe l’intégration des Burkinabè en Russie ; est-ce facile ?
Par rapport à une période reculée de dix à quinze ans, vous voyez que les étudiants arrivent à travailler, à s’auto-financer. Il y a même des étudiants qui ne sont pas boursiers, mais qui arrivent à travailler pour payer leurs études. Cela était pratiquement impossible, il y a une dizaine d’années. Donc, l’intégration se fait petit à petit, et souvent, il est très intéressant pour un Burkinabè de dire que “je suis Burkinabè en Russie”. Depuis le discours du chef de l’État (le séjour du président Ibrahim Traoré lors du sommet Russie-Afrique, ndlr), c’est devenu vraiment une histoire d’amour entre la Russie et le Burkina Faso, en matière d’intégration.
Pour terminer ?
Je vous remercie pour avoir fait le déplacement jusqu’en Russie, qui a permis de couvrir également cet évènement majeur pour le Burkina Faso (signature de la feuille de route, ndlr), pour le peuple burkinabè.
Interview réalisée par Oumar L. Ouédraogo
Sochi, Russie
Lefaso.net